Excuses et réparation

TW: Mention de violences conjugales

Par ce texte un peu long, nous souhaitons partager publiquement certaines erreurs que nous avons commises et les tentatives de réparation que nous sommes en train de mettre en place.
Trop souvent des agresseurs sont protégés et des victimes maltraitées, y compris dans les milieux militants, et nous ne voulons pas nous inscrire dans cette triste tradition. Ce texte exposera les faits et les mesures prises en accord avec la victime. Il est rendu public car il n’est pas question d’être discret·es sur cet enjeu fondamental des violences qui traversent nos collectifs et sur la manière dont nous pouvons y faire face. Nous avons fait des erreurs et nous en prenons l’entière responsabilité.

Il y a deux ans, nous avons développé un projet autour des masculinités. Ce projet consistait, entre autres, à former un groupe de réflexion à destination des hommes et à produire des recueils au terme des ateliers.
Apparaît ici notre premier manquement : travailler avec un groupe d’hommes signifie travailler avec un groupe d’oppresseurs, et très probablement avec des agresseurs. Lors de la constitution du groupe, nous avons été informé·es qu’un des candidats, que nous appellerons Guillaume (prénom fictif) avait été auteur de violences conjugales. Cette personne ne nous a pas caché la situation et son inscription aux ateliers s’était faite en accord avec la victime. Nous avons collectivement accepté de l’intégrer dans le groupe, pensant que cela pouvait participer à sa réflexion active sur ses actes. Nous aurions dû immédiatement nous mettre en contact avec la victime pour discuter avec elle des modalités et limites de sa participation mais nous ne l’avons pas fait. Première erreur.

Lors de la réalisation des recueils (photos-textes) qui clôturaient le projet, deux membres du groupe de réflexion se sont proposés pour réaliser la mise en page, dont Guillaume.
Ce travail qui devait initialement être entièrement bénévole a finalement été rémunéré et les auteurs de la réalisation graphique remerciés publiquement.
Deuxième énorme erreur. Nous ne nous sommes pas interrogé-es sur la portée symbolique de confier ce travail à un auteur de violences conjugales, et, évidemment, de le rémunérer. Dans l’introduction de l’outil pédagogique réalisé dans le cadre du projet sur les masculinités, le sujet des violences conjugales est pourtant évoqué. Et nous nous rendons compte que nous, collectif féministe, avons participé à la réhabilitation d’un auteur de violences. Pire que de manquer de solidarité envers la victime, nous lui avons infligé une souffrance supplémentaire. Nous en sommes infiniment désolé·es.
Il va sans dire que Guillaume aurait dû faire profil bas et refuser toute valorisation, matérielle ou symbolique, dans ce projet.

Dans une perspective de réparation, les démarches suivantes ont été initiées avec l’accord de la victime:
– Destruction des recueils en format papier qui n’ont pas encore été distribués
– Retrait d’une photo réalisée dans le cadre de l’exposition sur laquelle apparaissent des membres d’un collectif non soutenant de la victime à l’époque des faits
– Désactivation temporaire de la page du projet Masculinités sur le site web
– Une communication publique expliquant nos responsabilités et notre positionnement

Au delà de ces demandes, nous avons également décidé d’effacer toutes les traces de Guillaume dans le projet. Il s’agit donc de retirer toute mention sur tous les supports et de changer la mise en page qu’il a en partie réalisée.

Nous sommes vraiment désolé·es pour la souffrance causée par nos manquements et nos erreurs de jugement. Au-delà de cette situation particulière, nous allons poursuivre la réflexion pour être plus sorores et mieux protéger les victimes à l’avenir.

———————————————————————————————————————————–

MASCULINITÉS

UNE EXPOSITION CONSACRÉE AU PROJET « CONSTRUIRE UNE APPROCHE FÉMINISTE DES MASCULINITÉS » DU POISSON SANS BICYCLETTE
(s’est tenue du 11/01 au 15/02/2019 au Poisson Sans Bicyclette/Maison des Femmes)

PRODUCTIONS:

Ce projet a une vocation pédagogique et nous espérons que d’autres collectifs ou associations souhaiteront s’emparer de la thématiques des masculinités dans une perspective féministe. L’outil pédagogique a été créé en ce sens: il contient notamment des éléments théoriques et des ressources sur les masculinités, ainsi que des propositions d’animations inspirées du processus mis en place.

Il est également possible de louer l’exposition. Intéressé·e? Vous pouvez consulter la fiche technique de l’exposition et nous contacter par mail pour plus d’infos à ce sujet: lepoissonsansbicyclette@gmail.com

———————————————————————————————————————————–

C’est quoi être un homme aujourd’hui ? Quels privilèges découlent de cette position dominante ? Comment prendre sa responsabilité face aux violences sexistes ?

Malgré la place centrale des hommes dans la perpétuation du patriarcat, la question des masculinités est finalement peu abordée par les mouvements féministes et les hommes tardent à s’en emparer. Lorsqu’ils le font, c’est trop souvent sur un mode qui renforce la domination masculine.

Partant de ce constat, nous avons amorcé un travail de déconstruction et de réflexion créative avec un groupe de dix hommes. Ils ont pris part à des ateliers de réflexion et d’écriture qui se sont déroulés en six séances, d’octobre à novembre 2018. Pour alimenter notre réflexion, nous nous sommes entouré·e·s d’Andrea (Genres Pluriels) et d’Irene Zeilinger (Garance ASBL) qui ont chacun·e co-animé une séance avec nous. Pour les ateliers d’écriture, nous avons travaillé avec Marie Leprêtre (Le Mât Remue ASBL), poète créatrice d’utopies, qui a amené les hommes du groupe à plonger dans leurs vécus et leurs connaissances pour nous livrer des textes sincères qui mettent à jour et défient la masculinité hégémonique.

Cette exposition est accompagnée d’un recueil qui reprend une sélection de ces textes et témoigne du chemin parcouru par les participants. Certains d’entre eux ont par ailleurs pu explorer des manières originales de dire leur texte à l’occasion d’un atelier de mise en voix proposé par Jeanne Cousseau, autrice et metteuse en scène cinéma et radio.

BANDE SONORE

Complémentaire aux ateliers d’écriture, l’atelier de mise en voix a eu pour objectif d’élargir le rapport des participants à leurs textes en leur faisant prendre conscience des possibilités cachées de ceux-ci que leur mise en voix met en valeur. Nous parlons bien de « mise en voix » et non de lecture, de déclamation ou de jeu, car l’atelier proposé par Jeanne Cousseau expose de nombreuses manières de porter un texte par la parole, sans se cantonner à des genres : de la voix-off de documentaire à la lecture radiophonique en passant par la poésie sonore ou la performance.

L’atelier a débuté par une introduction théorique portant sur les possibilités de la voix, du jeu et des techniques de l’enregistrement sonore, mais également un historique de la voix enregistrée et des discriminations vocales (basées sur le genre, l’accent, etc.). La partie pratique a consisté en plusieurs étapes de lecture des textes par les participants qui ont été incités au fur et à mesure à aller chercher le plus loin possible de leur intention première afin de faire surgir ce que leurs textes racontent et qu’ils n’avaient peut-être eux-mêmes pas saisi. Ils ont finalement choisi une intention, un·e lecteur·rice (pas nécessairement eux-mêmes), un rapport au micro, et leur texte a pu être enregistré.

La bande sonore est disponible sur SoundCloud ici.

SÉRIES PHOTOGRAPHIQUES

Parallèlement aux ateliers, deux photographes ont accepté d’explorer la thématique des masculinités au travers d’une série photographique. Avec ses portraits de drag kings tout droit sortis d’un atelier avec le performeur Eclipse, Nora Noor nous emmène dans un univers pastel et jette le trouble sur la binarité de genre. De son côté, Odile Keromnes est allée à la rencontre d’hommes dont les rôles et les expressions de genre viennent interroger les codes du modèle dominant de la masculinité. Les photos sont reprises dans ce recueil.

Nora Noor

Série Drag King, 2018

Comme portraitiste, Nora travaille beaucoup en studio et c’est dans ce cadre qu’elle a décidé de créer un monde imaginaire pour accueillir des personnages masculins incarnés par des drag kings. Ses modèles et l’univers qu’elle a créé pour eux brouillent les codes attendus des genres et explorent les frontières du féminin et du masculin.

Les drag kings sont souvent photographiés en noir et blanc, avec des contrastes très appuyés et des poses reflétant la virilité exacerbée de leurs personnages. À travers cette série, Nora a décidé de prendre le contre-pied de cette iconographie standardisée en créant un univers pastellisé et des poses associées au féminin. Son objectif avec ces portraits est de casser la binarité de genre et de pousser le public à s’interroger sur les frontières entre le masculin et le féminin. Semer le trouble dans la linéarité entre l’identité de genre, l’expression de genre et les comportements et attitudes attendus crée une dissonance qui questionne lea spectateur·rice.

Les drag kings photographiés ont vu le jour lors d’un atelier organisé au Poisson sans bicyclette et animé par le performeur Eclipse qui, le temps d’un spectacle, incarne des personnages masculins.

Il s’agit pour lui d’une démarche engagée ayant pour but de se libérer des conditionnements inconsciemment intégrés en tant que femme. C’est d’ailleurs ce travail de déconstruction qu’il encourage chez les femmes avec lesquelles il travaille lors des ateliers qu’il anime pour transmettre son art et sa passion.

Odile Keromnes

Série Masculinités, 2018

Pour ce travail photographique, Odile est allée à la rencontre d’hommes qui, par leur apparence, leurs comportements, leur profession, leur engagement, se distancient du modèle traditionnel de la masculinité et brouillent les codes du genre. Ce faisant, elle nous pousse à interroger notre définition de la masculinité, des expressions et des rôles de genre masculins.

Ses photographies représentent une sorte de panel, certes non exhaustif, mais qui met au jour un certain nombre de masculinités possibles. On peut être un homme et porter du maquillage au quotidien, on peut être un homme et faire son repassage en legging coloré, on peut être un homme et se déshabiller dans un show burlesque, on peut être un homme et exprimer sa tendresse ou prendre soin de nourrissons, on peut être un homme et donner de son temps pour permettre à des féministes de s’organiser en non-mixité.

Les masculinités sont des modèles dynamiques et en mouvement. Aujourd’hui, le modèle traditionnel de l’homme macho est de plus en plus relégué à une forme de virilité dépassée. Le principe d’égalité entre les femmes et les hommes gagne du terrain et est de plus en plus consensuel, y compris chez les hommes, bien qu’il soit souvent peu suivi d’effets. Comment la masculinité se redéfinit-elle dans ce contexte ? Ces photographies reflètent-elles des nouvelles formes du modèle dominant ou constituent-elles des résistances à celui-ci ?

COLLABORATIONS ET PARTENARIATS

■ Le Mât Remue ASBL / lematremue.be

Illustratrice, poète, créatrice d’utopies, Marie Leprêtre remplit sa pratique de tout ce que le monde ne montre pas assez. Pour elle, la création et l’expression artistiques sont des moyens essentiels pour créer du lien en soi et avec le monde qui nous entoure. Ce sont des outils d’engagement et de prise de position politique. Dans cette optique, elle a créé Le Mât Remue ASBL, projet à travers lequel elle propose des ateliers socio-artistiques dans le but de faire émerger, de répandre et de partager ce potentiel créatif en lui permettant de prendre corps par tous les moyens possibles.

■ Genres Pluriels ASBL / genrespluriels.be

Genres Pluriels est une association œuvrant au soutien, à la visibilisation et à la valorisation des personnes transgenres et aux genres fluides, et des personnes intersexes, ainsi qu’à l’amélioration de leurs droits et à la lutte contre les discriminations qui s’exercent à leur encontre. L’association se veut une structure d’accueil et de soutien pour ce public et son entourage, mais aussi une plateforme d’information, de formation, d’action, de vigilance et de recherche dans une démarche de travail en réseau avec tous les acteurs d’une société ouverte à la diversité des identités humaines et culturelles.

■ Garance ASBL / garance.be

L’association Garance se concentre sur tout ce que l’on peut faire avant que la violence ne se manifeste pour éviter qu’elle ait lieu. Pour cela, elle s’attaque aux facteurs de risque qui rendent certains groupes de la population plus vulnérables aux agressions, et en particulier les femmes. Son objectif est de rendre à ces personnes leur capacité d’agir et leur autonomie au moyen de formations participatives, de l’analyse critique des conditions sociales et politiques qui mènent à la violence, et d’une valorisation des moyens dont les personnes disposent pour stopper les agressions.

■ Jeanne Cousseau / vimeo.com/jeannecousseau

Née en 1991 à côté de Paris, Jeanne Cousseau nourrit tôt une passion pour la musique et la littérature, auxquelles se joindra une passion pour le cinéma qui l’amènera en réalisation à l’INSAS. Elle écrit et met en scène aussi bien de la création radiophonique que du cinéma, en documentaire comme en fiction, en explorant les frontières entre les genres. Jeanne aime les expérimentations et la liberté, la Nouvelle Vague et le cinéma chinois contemporain, Marcel Proust et Georges Perec, les fictions radiophoniques et les opéras baroques, rire et voyager.

■ Eclipse / instagram.com/eclipse_dragking

Eclipse incarne des personnages masculins le temps d’un spectacle. Il s’agit pour lui d’une démarche engagée ayant pour but de se libérer des conditionnements intégrés inconsciemment en tant que femme. C’est d’ailleurs ce travail de déconstruction qu’il encourage chez les femmes avec lesquelles il travaille lors des ateliers qu’il anime pour transmettre son art et sa passion. Il dirige actuellement les ateliers Drag King de l’association Tels Quels et lutte pour une meilleure représentation des femmes dans l’art au travers d’Elles s’affichent, son projet de bar artistique féministe.

■ Nora Noor / noranoor.tumblr.com

Portraitiste et photographe professionnelle, mais aussi curatrice du festival Regards Croisés France/Belgique et galeriste à Bruxelles, Nora Noor est une activiste féministe qui défend l’image des femmes racisées à travers ses portraits. Elle co-dirige le magazine féministe et décolonial en ligne Dialna et poursuit un travail pédagogique et photographique pour l’association Arab Women’s Solidarity Association-Belgium (AWSA-Be).

■ Odile Keromnes / odile.keromnes.com

Franco-allemande et amoureuse de Bruxelles, Odile Keromnes est photographe et travaille dans la numérisation patrimoniale aux Musées royaux des Beaux-Arts. En parallèle, elle mène une activité de photographe indépendante et effectue des travaux de commande. Elle aime saisir des instants spontanés, dans des compositions rythmées par la couleur. À côté de ça, elle essaye humblement d’apporter sa petite pierre à l’édifice pour faire tomber le patriarcat.

REMERCIEMENTS

Merci aux participants des ateliers qui se sont laissés entraîner dans cette aventure inconfortable. Merci aux drag kings qui ont été les modèles de Nora Noor et merci aux modèles des photographies de Odile Keromnes qui ont parfois dû se laisser convaincre.

Merci à Marie Leprêtre pour l’animation des ateliers d’écriture. Merci à Andrea (Genres Pluriels) et Irene Zeilinger (Garance ASBL) pour les apports théoriques et les questionnements insufflés dans les ateliers de réflexion. Merci à Jeanne Cousseau pour la mise en voix et la création de l’outil sonore.

Merci à Nora Noor et Odile Keromnes pour le travail photographique qui a parfois pris des tournures inattendues. Merci à Eclipse qui a donné vie aux drag kings photographiés par Nora.

Merci au comité d’accompagnement du projet composé d’une dizaine de bénévoles qui a travaillé sans relâche pendant trois mois. Merci à Ruth Paluku-Atoka pour son implication dans l’animation des ateliers et pour ses apports théoriques précieux. Et enfin, merci à Thomas Piérard qui a coordonné ce projet complexe, mouvant et multiforme, en le maintenant sur des rails résolument féministes.

Merci aussi au BRASS (centre culturel de Forest) de nous avoir laissé occuper leurs beaux locaux, ainsi qu’à la Maison des Femmes de Schaerbeek pour l’accueil de notre exposition.

Avec le soutien d’equal.brussels – Service Public Régional de Bruxelles, d’Alter Égales – Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Maison des Femmes – Commune de Schaerbeek.